SUR LA PISTE DES HUMANITES PERDUES I - L'HOMME ET LA FAIM



Les hommes et la faim (1)

SUR LA PISTE DES HUMANITES PERDUES
Texte et dessins de Michel de ROISIN
L'HOMME ET LA FAIM

Durant des centaines de millénaires, les honmes ont souffert de la faim. Trouver la nourriture quotidienne a été longtemps une aventure incertaine, si bien que la famine a pu être considérée comme l'état le plus habituel de nos ancêtres. Famines préhistoriques, puis historiques, se sont succédées de manière ininterrompues, et cela jusqu'au XIXe siècle. De la pénurie d'aliments aurait pu résulter la disparition de notre espèce, Si cela n'arriva point, c'est grâce aux mystérieux ancêtres de la préhistoire qui, par géniale inspiration, inventèrent l'agriculture. Par celle-ci la famine ne disparut pas sans doute, niais le nombre de ses lieux d'attaque fut diminué ; de sorte que, n'étant plus menacée dans sa totalité, notre espèce reçut ainsi la plus solide des assurances vie !
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Satisfaire sa faim: un privilège non universel !

Manger ! Bien peu de Français, bien peu d'Européens pourraient concevoir le prodige évoqué par ces simples mots !
Manger ! « L'histoire de l'humanité est, depuis l'origine, a écrit le professeur Josué de Castro, l'histoire de sa lutte pour sOn pain de chaque jour. Il semble donc difficile d'expliquer, et plus difficile encore de comprendre, ce fait étrange, à savoir que l'homme - cet animal prétendu supérieur, si souvent victorieux des forces de la nature qu'il a fini par s'en proclamer le maître et seigneur - n'ait encore obtenu aucun triomphe décisif dans cette lutte pour sa subsistance. Il suffit de se rappeler que, au bout de cette longue période de plusieurs centaines de milliers d'années de combat, l'observation scientifique constate aujourd'hui qu'au moins deux tiers de la population du monde vivent dans un état permanent de faim, que deux milliards d'êtres humains ne disposent pas de moyens d'échapper aux griffes de la plus terrible de toute les calamités sociales. » (Josué de Castro : Géopolitique de la Faim, chap. 1, p. 32. - Editions économie et humanisme, Les éditions ouvrières, 12, avenue SoeurRosalie, Paris (13e).
Ces griffes, nos ancêtres de la Préhistoire, on s'en doute, ne purent y échapper : en fait, leur existence ne fut qu'un perpétuel, un terrible combat contre le plus implacable de tous les fauves, combat souvent terminé par la défaite, cela expliquant la brièveté de la vie chez nos lointains ancêtres, laquelle ne dépassait guère, en moyenne, une vingtaine d'années
Manger ! L'impitoyable obsession dura des milliers de millénaires, survécut à la Préhistoire, hanta l'Antiquité, persécuta le Moyen-Age et, franchissant le domaine des temps passés, prit possession de notre époque, se développa en notre ère dite « atomique », pour s'imposer enfin aux deux tiers de nos semblables.
Manger ! Combien de versets bibliques évoquent l'horreur de cette nécessité insatisfaite !. (1)
Au XVème siècle, on dévorait encore, en France, de la chair humaine, comme en témoignent les chroniques et les chansons populaires. (2)
Manger ! Vous, chers lecteurs, qui lisez ces lignes et qui, dans peu d'instants, allez sans doute vous installer devant une table bien garnie, n'oubliez jamais ceci : à savoir que, pour vous permettre de satisfaire votre appétit, renouvelant chaque jour un quasi-miracle, trois millions d'années de lutte incessante, avec la collaboration d'innombrables savants, économistes, travailleurs de toutes sortes, ont été nécessaires.
Devant la Faim: l'homme jadis plus désarmé que l'animal !
Manger ! Comment nos aïeux des premiers âges parvinrent-ils à résoudre l'angoissant problème ?
Car ils n'avaient rien de Tarzan ni d'organisateurs de safaris, ces pauvres aïeux !
Imaginez des êtres plutôt débiles, le plus souvent rongés de ces diverses maladies causées par les insuffisances nutritives, les intoxications dues aux eaux, aux viandes, aux végétaux empoisonnés, souvent aussi causées par un manque de vitamines essentielles. Imaginez encore ces êtres errant au sein d'une nature hostile, sans autres armes que de rustiques épieux ou de pierres plus ou moins dégrossies. Imaginez enfin, si vous le pouvez, l'état d'angoisse de ces misérables, leur conscience douloureuse d'une irrémédiable faiblesse ! Pas question pour eux d'attaquer le mammouth, l'ours des cavernes, l'auroch, ni même un de ces herbivores moins dangereux abondant parmi les savanes, tel le cheval ou le cerf...
Alors, quoi manger ?
D'abord, des racines, des herbes plus ou moins comestibles, des champignons (tant pis pour les ramasseurs d'amanites mortelles !), des fruits, des oeufs, de jeunes animaux surpris par hasard au domicile... Nourriture souvent insuffisante et, plus souvent encore, fatale aux estomacs et aux intestins - fussent-ils préhistoriques -. Nourriture providentielle cependant car, fréquemment, cette piètre pitance faisait défaut : sécheresse, inondations, incendies, tremblements de terre OU autres calamités détruisaient toutes ressources, créant des étendues arides, repoussant au loin les vies animale et végétale.
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Une dangereuse ressource : la cueillette. La nature (plus hostile que maternelle !) imposait à l'Homme préhistorique une attitude de perpétuelle défience. Ainsi, malgré les apparences, cueillir des végétaux n'offrait pas moins de périls que de chasser.

En pareille désolation, comment vivre ?

Réponse simple et logique : par le cannibalisme ! « En hiver, écrit Roland Villeneuve (parlant de peuplades primitives, quoique bien plus évoluées que nos ancétres), les vivres manquent totalement ; la chasse, la pêche n'ont rien donné, il faut vivre cependant ; la faim est le seul sentiment qui survive dans le coeur de ces hommes ; il leur faut choisir entre les vieilles femmes et les chiens : les chiens sont utiles pour s'emparer des loutres, les vieilles femmes ne peuvent plus servir : le choix est vite fait. La victime est suspendue au-dessus d'un feu de bois vert, etc. » (Roland Villeneuve, Le cannibalisme, p.:23. Bibliothèque Marabout, 1973). Parfois aussi, nos aïeux devaient se contenter d'animaux morts de faim ou d'épizootie, ce qui n'arrangeait guère les santés !

Une géniale invention, mais famine pas morte !

Combien de temps persista la grande misère de nos lointains ancêtres ? Combien de temps furent-ils contraints de fouiller une terre ingrate pour trouver à peine de quoi subsister ? Impossible de répondre ! Nous pouvons seulement supposer - avec solides raisons - que cette extrême pénurie dura des millénaires et des millénaires - des centaines de millénaires ! - jusqu'au jour - relativement récent - où un génial inconnu imagina de planter une graine, d'en surveiller la croissance, de recueillir la semence issue de la plante, de semer celle-ci...
Pourquoi cet inconnu - sans doute un rude chasseur de l'époque néolithique - accomplit-il un acte aussi insolite ?
Quelle mystérieuse puissance lui inspira de rester penché sur la terre, pour surveiller le comportement de la graine enfouie par ses soins ? Jamais nous ne pourrons le savoir ! Il n'en reste pas moins toutefois que notre ancêtre venait de changer la destinée de notre espèce, qu'il venait de lui assurer la vie pour la suite des siècles ; bref qu'il venait d'inventer une chose incomparable.
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Si l'Homme existe depuis environ trois millions d'années, par contre l'invention de l'Agriculture ne remonte pas au-delà de quelques dizaines de millénaires. Les gestes et les méthodes innovées par nos lointains ancêtres de la Préhistoire restèrent les mêmes presque jusqu'à nos jours, comme en témoigne la miniature ci-dessus, illustrant un manuscrit du Moyen-Age.

L'Agriculture

Par cette innovation, l'Humanité passait de l'existence précaire à une quasi-sécurité. Trouver la nourriture ne fut plus un exploit quotidien, mais une technique sans péril, conduisant à un résultat indubitable. Le souci de manger ne concrétisa plus une angoisse - du moins pour les favorisés dc ce monde ! - mais un plaisir chaque jour renouvelé.
Grâce soit donc rendue au génial ancêtre à qui nous devons les modalités de notre actuelle existence ; oui, grâce lui soit rendue, mais sans oublier les peuples déshérités qui, aujourd'hui encore, en plein âge atomique, non encore sortis des conditions funestes de la Préhistoire, continuent de périr par les effets d'une incessante famine.

Les premiers instruments d'agriculture: de simples hâtons aux formes diverses.

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1. Bâton pointu (plantoir ?).
2. Bêche (?).
3. Bâton recourbé (?).
4. Houe (?).
5. Houe attelée (charrue primitive ?).
6. Charrue (ou plutôt araire) préhistorique. L'image de cette charrue est gravée sur le dolmen des Marchands, à Locmariaquer (Morbihan).

NOTES

1 : « Donnez-moi votre fils afin que nous le mangions aujourd'hui, et demain nous mangerons le mien. »
« Nous avons fait cuire mon fils et nous l'avons mangé. Je lui ai dit le jour après: Donnez votre fils afin que nous le mangions. »
Mais elle a caché son fils. (Livre des Rois. Chap. VI, 28 et 29.)
2 : Voir le chroniqueur Raoul Glaber (Historiarum libri, Xe siècle) : « Le voyageur était assailli sur le chemin, par des cannibales. .Des enfants furent attirés dans les bois par l'offre d'un fruit ou d'un oeuf et dévorés. Un homme apporta au marché de Tournon de la chair humaine cuite et préparée comme de la viande de pourceau. Etc. »
Voir aussi les vieilles légendes, par exemple, celle de Saint-Nicolas :
Il était trois petits enfants, Qui s'en allait glaner aux champs; S'en cour'nt un soir chez le boucher;
« Boucher, voudrais-tu nous coucher?
- Entrez, entrez, petits enfants; il y a de la place assurément. »
Ils n'étaient pas sitôt entrés, Que le boucher les a tués, Les a coupés en p'tits morceaux, Mis au saloir comme pourceaux.

Rappelons encore Le Petit Poucet, conte de Charles Perrault, où il est question de famine chez le paysan et d'un ogre. Les témoignages sur la pénurie des temps passés abondent il suffit, pour s'en rendre compte, de lire l'histoire!


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Ceuillette
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Hommes labourant
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Manuscrit du Moyen-Age
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Premiers instruments d'agriculture
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